Face à la solitude ressentie par les personnes incarcérées dans les centres pénitentiaires, l’association Le Courrier de Bovet veut les reconnecter au monde extérieur grâce à des échanges de lettres avec des correspondants extérieurs. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Michèle Boudin, secrétaire générale de l’association.
Née en 1950 à l’initiative de Mme Bovet, l’association Le Courrier de Bovet, dont le siège est implanté à Paris, met en relation épistolaire les personnes incarcérées des prisons françaises avec des personnes de l’extérieur, adhérentes à l’association. Les correspondants extérieurs échangent alors avec les détenus qui en font la demande dans l’optique de les accompagner et de leur apporter un soutien émotionnel pendant leur période d’incarcération.
Une volonté de soutenir et de partager
Présente dans cinq régions de France, le souhait de cette association est de
- Sortir les détenus de la solitude ;
- Leur permettre de garder un lien avec l’extérieur ;
- Proposer aux adhérents d’exercer leurs plaisirs d’écrire.
« Nos adhérents aiment correspondre même si c’est un peu démodé actuellement. La plupart regrettent de ne pas pouvoir correspondre davantage et possèdent l’envie de faire du bien aux détenus. » nous confie Michèle Boudin.
Plus concrètement, lorsqu’un détenu veut s’engager dans une correspondance, un système de parrainage est officialisé auprès des SPIP[1] des centres de détention, entre un détenu et un adhérent de l’association du Courrier de Bovet. Les détenus sont alors mis en lien avec les personnes de l’association en recherche de correspondances. À la suite de cela, les échanges réalisés entre les détenus et les adhérents sont essentiellement papiers et utilisent la voie postale. « Les détenus n’ont pas le droit aux téléphones et ont un accès Internet sous certaines conditions et dans certains centres de détention seulement. »
Un échange épistolaire respectueux des droits humains
L’association cadre les échanges à l’aide de deux types de chartes – l’une pour les détenus, l’autre pour les adhérents – que chacun s’engage à respecter lorsqu’un nouveau parrainage est mis en place.
Du côté des détenus
D’une part, les détenus s’engagent à répondre à leur correspondant et à le respecter, lui et son anonymat, le tout sans demander d’argent ni d’aide matérielle et sans entretenir de relations sentimentales. « Ce dernier point représente la plus grosse difficulté puisque certains détenus sont souvent en grande demande affective », ajoute Michèle Boudin.
Du côté des adhérents
De leur côté, les adhérents s’engagent à maintenir des relations épistolaires régulières purement amicales fondées sur la confiance et le respect de chacun, quels que soient son passé, ses origines, et à répondre à leur correspondant sous quinze jours. Ils adhèrent également à l’éthique de l’association fondée sur le respect des Droits de l’Homme et ne doivent pas divulguer le contenu des lettres qu’ils reçoivent sans l’accord de leur correspondant. Cette charte précise également que l’adhérent n’a pas compétence pour prendre en charge la réinsertion du détenu au moment de sa sortie.
Les adhérents de l’association du Courrier de Bovet correspondent avec des détenus de manière anonyme. Quand une personne s’engage, elle adopte un nom d’emprunt avec lequel elle va écrire aux détenus. De même pour l’adresse postale utilisée par le détenu, puisqu’il n’écrit pas à l’adresse du siège mais à une boîte postale prévue spécifiquement à cet effet.
« L’anonymat est total au niveau de l’identité des correspondants extérieurs, même si dans les échanges réalisés, les correspondants livrent plein de choses sur eux. Nous voulons donner à nos adhérents un cadre d’engagement sécurisé. Parfois, il arrive que cette règle ne soit pas respectée et que les adhérents rencontrent leurs correspondants détenus après leur libération. Il est aussi arrivé qu’un adhérent aille assister au procès du détenu avec lequel il correspondait. Chaque adhérent reste libre de dévoiler ce qu’il veut sur son identité, ce qui relève alors de leur propre responsabilité. »
L’association propose aussi un accompagnement aux nouveaux adhérents qui débutent dans l’échange épistolaire avec les détenus. L’association propose à des adhérents qui correspondent depuis au moins 6 ans avec des détenus de devenir accompagnants et suivre un nouvel adhérent dans ses débuts épistolaires. Michèle Boudin qui est aussi accompagnante nous explique : « Quand un adhérent commence une correspondance, nous l’accompagnons pour écrire la première et la deuxième lettre. Si la personne a des difficultés ou n’est pas très sûre d’elle, nous continuons à l’accompagner dans l’écriture pendant environ trois mois après les deux premiers échanges et, pendant deux ans, nous restons accompagnant de cet adhérent à travers des échanges ponctuels et en continuant à répondre à ces questions au besoin. »
« À chaque correspondance, les détenus m’expriment le bien que leur font ces échanges et me témoignent des remerciements très chaleureux. »
L’association s’est aperçue que les détenus avaient besoin de recevoir des nouvelles du monde extérieur. Dans leurs lettres, les correspondants adhérents de l’association décrivent leur quotidien comme le spectacle vu dernièrement où une carte postale d’un voyage, etc. « Nous recommandons aux adhérents d’écrire des nouvelles simples de la vie quotidienne de quelqu’un qui est dehors avec ces soucis de travail, l’éducation des enfants, mais nous n’imposons aucun contenu. »
Michèle Boudin nous confie qu’elle a pu, depuis son arrivée dans l’association, recevoir énormément de témoignages positifs de la part des détenus ayant participé au dispositif du courrier de Bovet. Voici le témoignage de Stéphane, détenu correspondant : « Quand on met les pieds en prison, on est coupé du monde extérieur. Dans les premiers mois, nos courriers à la famille sont bloqués, on n’a pas l’autorisation de téléphoner et on ne bénéficie pas de parloir. C’est un vrai choc émotionnel. Et quand on peut enfin recevoir des lettres, avec le temps, les nouvelles des proches, de ceux qu’on aime et de ceux que l’on pensait être des « amis » s’espacent de plus en plus. Le sentiment de solitude devient de plus en plus lourd. Un jour, j’ai eu connaissance du Courrier de Bovet et j’ai envoyé une lettre… Qu’est-ce que j’attendais ? Être moins seul, trouver une oreille à mon écoute, partager… Quel plaisir d’avoir reçu une réponse. Vous n’imaginez pas la joie de recevoir une lettre avec son nom sur l’enveloppe : sentiment d’exister, de ne pas être oublié, de voir que la vie nous attend. Depuis plus d’un an, j’ai une correspondante avec qui je peux partager mes émotions. »
En 2018 l’association comptabilisait 6 815 lettres envoyées par l’ensemble des détenus à leurs correspondants. « En 2018, nous recensons 749 adhérents pour 603 détenus correspondants. Pour toucher plus de détenus, nous souhaitons nous orienter vers la lutte contre l’illettrisme et proposer des ateliers de correspondances dans les centres de détentions », conclut la Secrétaire générale.
Laura Doucet
La solution proposée : Prêter une oreille attentive aux personnes qui en ont besoin dans le respect mutuel de chacun.
[1] Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, présent dans chaque centre pénitentiaire et qui permet aux détenus de participer à des activités facilitant l’insertion à la sortie de détention.
Plus d’infos : https://www.courrierdebovet.org/