

Patrick Laupin, auteur d’une quarantaine de livres, anime des ateliers d’écriture dans la région lyonnaise : au Collège Louis Jouvet à Villeurbanne, au Collège Bellecombe dans le 6ème arrondissement de Lyon, ou encore au Lycée professionnel Tony Garnier. Au plus près de la jeunesse, l’auteur est confronté aux questions de l’intégration et de l’apprentissage de la langue, auxquelles il répond par la culture des mots. Rencontre.
TVB : Comment avez-vous été amené à proposer ces ateliers d’écriture ?
PL : J’ai commencé à publier des livres assez jeune, vers 18 ans, avant d’être instituteur dans une classe Freinet. Je voyais bien que ce que les enfants écrivaient était intéressant, mais je pensais qu’il était possible de mieux faire. Je me suis alors lancé dans la rédaction de « L’alphabet des oubliés », sur la parole des enfants. Ceux-ci disaient des choses d’une grande force : leurs phrases étaient comparables au grand art, à ce que l’on cherche dans la poésie, ce qui n’est pas forcément réservé aux intellectuels. J’ai ensuite travaillé dans la perspective qu’un livre était au fond de chacun d’entre nous, que chacun avait sa propre écriture. J’ai alors eu envie d’animer des ateliers pour le transmettre.
TVB : Comment se déroulent ces ateliers d’écriture ?
PL : Il s’agit plutôt de moments d’écriture, d’initiation à la création, généralement d’une trentaine d’heures par an, donc de deux heures par semaine, avec une dizaine de jeunes dans l’idéal.
Parmi les participants se trouvent des personnes venues d’ailleurs, et j’essaie de les aider à rentrer dans la langue. Beaucoup de jeunes issus de familles immigrées ne connaissent pas leur histoire, ou leur famille : nous essayons de retrouver leur mémoire humaine, de tisser des liens avec un travail autobiographique, en nous concentrant sur le ressenti, qui permet la création. J’interviens moins en tant qu’écrivain qu’en tant qu’homme. Ensemble, nous humanisons ce qui nous civilise en commun.
TVB : Comment parvenez-vous à surmonter la barrière de la langue lorsqu’elle est présente ?
PL : Cela dépend avant tout des mots français que les personnes connaissent. Nous travaillons parfois avec la langue natale, en traduisant sur un tableau et en faisant de l’écriture un travail collectif. La traduction du guinéen, du russe ou de l’arabe est une entrée dans la langue française, un travail d’écoute, et l’inspiration des autres donne énormément de courage et de confiance. Nous partons tous avec les armes que l’on a, avec les mots qui sont les nôtres. Si l’on n’y arrive pas, qu’on a du mal à dire les choses, c’est que l’écriture est restée dans sa cachette ; nous tirons des fils pour l’en extirper, pour que cela devienne une rencontre.
TVB : Comment parvenir à cette « rencontre » ?
PL : Je propose de voir l’écriture comme un ami imaginaire. J’essaie de réconcilier chacun avec sa voix, son écriture. L’écoute du groupe éveille, recrée des rapports, des accords. Nous sommes dans une relation de confiance, car l’écriture et la lecture ne doivent pas être forcées. Il faut les laisser venir et naître. Et les résultats sont impressionnants. J’y retrouve du spontané, une part d’enfance et beaucoup d’inspiration.
TVB : La créativité peut-elle ainsi favoriser l’apprentissage de la langue ?
PL : Il faut aussi du lexique mais il est vrai qu’avec l’écriture, nous sommes dans un ressenti que personne d’autre ne peut transcrire à notre place. Les ateliers permettent aux jeunes d’être accueillis dans la langue, de s’ouvrir à leur imaginaire. Récemment, un enfant m’a dit : « j’ai passé la porte des mots ! » Il semble donc y avoir un germe de croissance qu’il faut éveiller en travaillant sur les liens et la confiance.
TVB : Finalement, il s’agit d’une rencontre entre des humains et des mots ?
PL : Il s’agit même d’une rencontre entre des humains et leurs mots. Il y a les mots du dictionnaire et ceux des racines. Nous écoutons les autres lorsqu’ils parlent, le livre écrit dans la chair de chacun, et c’est souvent très émouvant. Certains croient qu’ils ne peuvent pas être entendus. Mais nous arrivons à créer un véritable climat d’écoute, même avec une dizaine de langues différentes !
Clément Navoret
La solution proposée : Ecrire pour se rencontrer.
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