Elle arpentait Cannes en 2007 pour Un certain Regard, avec un premier film réalisé à partir de son scénario de fin d’études, Naissance des pieuvres. Une dizaine d’année plus tard, c’est avec Portrait de la jeune fille en feu (sortie en salles le 18 septembre) que Céline Sciamma remportera le prix du scénario.
La cinéaste porte à l’écran l’histoire d’une passion entre deux femmes. La première, promise à un mariage qu’elle récuse symboliquement, refusant de poser pour son portrait. La seconde, peintre, introduite comme dame de compagnie, va devoir immortaliser son visage. Dans un XVIIIe siècle résolument contemporain, Céline Sciamma questionne le jeu amoureux en toute intimité, de décors, de lumières, de regards.
Cheveux maintenus en arrière par un sobre élastique, chemise sombre ouverte sur un maillot blanc, silhouette déterminée et fuselée, dans une apparence antagonique, à la fois proche et distante, la réalisatrice change sans cesse de posture tout en répondant posément à nos questions.
TVB : Comment s’est imposé le titre et l’histoire de ce portrait ?
CS : Le titre est arrivé très tôt dans le projet, comme une boussole. Certains titres sont des synthèses, d’autres des ambitions. Ensuite, il existe la volonté, comme dans tous mes films, de montrer les femmes, et non pas la femme. Dans un XVIIIe siècle qui a beaucoup théorisé la femme, la sorcière, et cadenasser les rôles, évoquer les variétés de destins et construire des personnages féminins me semblait important. On a beaucoup vu le cinéma à travers des regards d’hommes, d’une certaine façon, j’ai créé une histoire qui me manquait.
TVB : Qu’est-ce qui rend votre film si contemporain ?
CS : Je crois que ce sont les films qui sont contemporains et non pas l’époque à laquelle ils se rattachent. Il existe des films contemporains qui semblent appartenir au passé, en termes de mise en scène notamment. C’est l’objet qui me semble contemporain, ce que l’on a fait à l’image, le son, le montage, le rythme, la recherche de la nouveauté… J’essaie toujours de créer l’inexistant. C’était aussi l’un des gros enjeux de l’écriture : penser l’équilibre entre les deux lignes temporelles, leur contagion respective, les mettre en tension de façon généreuse. Je ne suis pas une cinéaste du chaos, tout est pensé à l’écriture. L’emplacement d’une bougie, l’éclairage d’un corps peuvent être notés dans mon scénario afin de permettre aux personnages de vivre pleinement leurs émotions, finalement intemporelles. Le film en costumes m’autorisait ce romanesque. Par ailleurs, la représentation homosexuelle, amoureuse et non pas interdite, est relativement novatrice et reste un sujet malgré tout politique, encore aujourd’hui.
TVB : Outre votre façon d’aborder la peinture, qui se rapprocherait du cinéma dans la construction d’une image, l’art en général tient un rôle important dans le film, notamment avec le mythe d’Orphée et Eurydice, Vivaldi…
CS : Oui, je crois que l’on doit faire culture, et cela fait partie de la symbolique et du langage des personnages et des histoires. Dans la peinture, il y avait la matière, la couleur, les couches, la question de l’image, en effet. Pour la musique, la reprise de Vivaldi est d’ailleurs une création originale pour le film. C’est une version très rapide faite avec le violon que voulait Vivaldi, un tromba marina, reconstitué pour l’occasion. Nous sommes donc très proches de l’intention première du compositeur. Enfin, le mythe d’Orphée permet de nourrir la dimension du questionnement. Ajouter de la création dans la création reste particulièrement stimulant, la chant choral est une composition originale spéciale pour le film.
Laurianne Ploix
La solution proposée : inventer des histoires qui manquent au cinéma pour retravailler notre imaginaire commun.
Retrouvez une interview complémentaire de Céline Sciamma dans le TVB 39 à sortir mi-novembre consacré aux costumes et à la mode éthique.
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