

Ce sont les mots de Lucie Codiasse, directrice de la communication et du développement d’Action contre la Faim (ACF), qui nous incite à se mobiliser et partage des solutions pour lutter contre la faim dans le monde. L’organisation non-gouvernementale ACF a été créée en 1979 pour tenter d’éradiquer ce fléau.
TVB : La pauvreté semble être l’une des causes de la faim dans le monde, comment agissez-vous contre la pauvreté ?
LC : Effectivement, nous agissons aussi en amont pour lutter contre la pauvreté qui est un vecteur de la faim. Afin de limiter la pauvreté nous avons un programme d’actions sur la sécurité alimentaire et les moyens d’existence. Nous mettons en place des activités de soutien à l’agriculture et aux activités génératrices de revenus. Par exemple, j’avais créé en Irak un programme qui permettait d’aider les porteurs de projets de petits business (agriculture, téléphonie…).
TVB : Quels sont les causes et les conséquences de la faim dans le monde ?
LC : En 2019, on estimait que 690 millions de personnes souffraient de sous-alimentation. On parle ici de la forme la plus grave de la faim. Depuis 2014, la faim augmente, notamment à cause des conflits. 77 millions de personnes étaient dans un état d’insécurité alimentaire, à cause des conflits, en 2019. Le Sahel est la région où la faim a le plus progressé ces 10 dernières années. Il y a aussi le changement climatique et le manque d’accès aux services de base. Par exemple, au Burkina Faso, le nombre de déplacés a été multiplié par six en 2019. C’est la double peine pour les populations qui subissent les conflits armés et les changements climatiques. Le dérèglement climatique bouleverse la saison des pluies. Il y a plus de sécheresse et cela impacte les rendements agricoles et les récoltes. Enfin, il y a les chocs économiques comme dernièrement avec la Covid-19. Certains pays n’ont pas de protection sociale ce qui est générateur de pauvreté et donc de faim.
« En 2018, ACF a aidé presque
Lucie Codiasse, directrice de la communication et du développement d’Action contre la Faim
9 millions de personnes dans
nos projets nutrition et santé. »
TVB : Comment ACF lutte contre la faim dans le monde ?
LC : La nutrition et la santé constituent le cœur de notre métier. Il s’agit de dépister et de traiter la sous nutrition chez les personnes vulnérables. La sous-nutrition peut générer des formes de malnutrition aigües, sévères et modérées. Ce sont des maladies qui se soignent et auxquelles on apporte notre expertise et notre savoir-faire pour les soigner. Nous veillons également à ce que les populations aient un accès constant et suffisant à une eau potable. C’est l’action prioritaire que nous menons lorsque nous intervenons dans un village ou dans un camp en urgence absolue. Nous assurons aussi la mise en place d’un réseau d’assainissement fonctionnel. Nous apportons également un soutien psychologique aux populations qui ont subi des traumatismes liés à la guerre. Par exemple, nous mettons en place des ateliers qui permettent d’aider des mamans traumatisées par la guerre et qui ne sont plus capables de s’occuper de leurs enfants. Ces ateliers consistent à reconstruire le lien mère-enfant par des massages, par exemple. Nous possédons un pôle Recherche et Développement. Et tous les ans nous faisons un appel à projets innovants. On part des besoins des populations et des communautés qui nous sont communiqués par les équipes de terrain. L’innovation permet de s’adapter aux crises et aux besoins réels du terrain
TVB : Pouvez-vous nous donner un exemple d’innovation ?
LC : Je peux citer un projet innovant en République centrafricaine qui consistait à créer une ferme d’insectes destinés à la consommation. L’impact positif est multiple car il permet de générer des revenus et ainsi lutter contre la pauvreté. Mais aussi permettre de lutter contre la faim en apportant une alimentation plus diversifiée et plus nutritive.
TVB : Qu’est-ce qui limite vos actions ?
LC : Ce qui nous préoccupe beaucoup ce sont les conditions sécuritaires qui se sont dégradées dans certains pays où nous intervenons comme au Nigéria ou au Yémen. En raison de fortes tensions dans certaines zones, il est très difficile d’avoir accès aux populations. Notre enjeu principal dans les zones de conflit est de pouvoir accéder aux populations qui dépendent de nous pour survivre tout en garantissant la sécurité de nos équipes humanitaires. Nos limites sont aussi financières. La capacité de nos actions est déterminée par les dons récoltés.
TVB : Quels projets développez-vous en France ?
LC : Nous avons créé un évènement qui s’appelle Challenge contre la faim. Il s’agit d’un challenge sportif inter-entreprises. Ce challenge évènementiel se déroulait dans certaines villes de France mais suite aux annulations liées au coronavirus notre pôle Sport et Solidarité a dû s’adapter et proposer une alternative. Nous avons créé une application téléchargeable et nous comptons déjà 10 000 inscrits pour notre prochaine édition du 12 octobre. Grâce à cette application, le salarié peut monter une équipe. L’objectif final est de récolter de l’argent mais c’est aussi l’occasion de faire de la sensibilisation.
Nous lançons la campagne #hungerpandemic qui consiste à dénoncer la fragilité de nos systèmes alimentaires mondiaux et des crises alimentaires qui pourraient survenir suite à la Covid-19.
On va aller aussi à la rencontre du consommateur français à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation qui aura lieu le 16 octobre. Nous espérons le convaincre de l’importance de consommer local. Car sa consommation aura un impact positif sur le système alimentaire global.
On a aussi un projet que j’adore, c’est le jeu de rôle Tomate impact, à destination des adolescents. C’est un jeu qui explique le parcours d’une tomate qui est cultivée au Maroc jusqu’au consommateur. Il permet de faire prendre conscience du lien qu’il y a entre l’alimentation, la production, le climat et la faim.
Enfin comme chaque année, l’évènement Une course contre la faim va bientôt commencer dans les écoles. 290 000 élèves de 1 300 établissements participent à ce projet dans plus d’une cinquantaine de villes françaises et à l’étranger. C’est l’occasion de sensibiliser les enfants aux questions de la faim dans le monde et à la solidarité internationale. La course permet de collecter entre 3 et 3,6 millions d’euros pour agir là où il y a besoin.
La faim dans le monde, un enjeu politique
Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) révèle qu’aujourd’hui plus d’une personne sur neuf ne mange pas à sa faim. Les régions les plus touchées sont l’Asie avec (381 millions), l’Afrique (250 millions) puis en Amérique latine et les Caraïbes (48 millions). L’OMS estime à 3 milliards le nombre de personnes qui n’ont pas accès à une « alimentation saine ».
L’un des objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU pour 2030 était la « faim zéro » : plus aucun enfant de 2 ans souffrant de problèmes de croissance, 100 % d’accès à une alimentation adéquate, des systèmes agro-alimentaires durables, etc. Cependant, des conflits armés gangrènent certaines régions du monde, la crise sanitaire liée à la Covid-19 et les crises climatiques affaiblissent la lutte contre la faim. Si bien que l’ONU estime que l’ODD n’est plus réalisable et alerte sur les risques de famine dans son rapport annuel L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde.
Les solutions ? Moins de gaspillage, plus de céréales et moins de viande, une consommation locale
Il y a suffisamment de nourriture produite pour tous les habitants de cette planète. Selon un article de l’ONU , l’humanité gaspille un tiers de la production alimentaire qu’elle produit soit 1,3 milliard de tonnes. Une meilleure gestion du circuit alimentaire permettrait d’inverser cette tendance et de réduire fortement le gaspillage. Il faudrait investir dans les systèmes productifs et les infrastructures où transite notre nourriture. Toujours selon l’ONU, une baisse de 25 % du gaspillage permettrait d’alimenter 500 millions de personnes.
Il faudrait également changer notre façon de manger. En 2050, la production alimentaire ne suffira pas à nourrir la population mondiale. « Il faut 1,5 litre d’eau pour produire un kg de céréales et 15 000 pour produire un kilo de viande ». Changer notre alimentation pourrait alors changer la donne.
Il faudrait aussi produire et consommer local dans les zones rurales où est concentrée 70 % de la population pauvre. Cela crée de la richesse et aide à lutter contre la pauvreté et la faim. Selon Bruno Parmentier qui est un expert des questions alimentaires, la faim résulte de problèmes humains : « La faim est donc un phénomène politique. Elle est la conséquence de l’ignorance, de la guerre, des déficiences des pouvoirs publics et des conflits […] Si la faim est d’abord politique, son éradication l’est également. ».
Christophe Rouchier

Article issu du dossier Lutter contre la pauvreté du TVB 46
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