Journaliste, auteur et réalisateur, Thomas Huchon s’intéresse depuis plusieurs années au complotisme. En 2016, il réalise le documentaire Comment nous avons piégé les complotistes (disponible sur la plateforme Spicee), dans lequel il piège des complotistes en créant de toutes pièces une fausse théorie du complot. Inquiet du succès que rencontrent aujourd’hui ces théories, il partage avec nous ses solutions pour lutter contre ce phénomène.
TVB : Quels enseignements avez-vous tirés de votre documentaire ? Les choses ont-elles changé depuis sa sortie en 2016 ?
TH : À l’époque, on a tiré l’enseignement qu’il y avait quelque chose de très grave qui était en train de se passer sous nos yeux. Il y a une espèce d’incompréhension de la part des pouvoirs publics et un risque de contre culture conspirationniste sur Internet. Notre film a été une forme de succès car on a pu démontrer pleins de choses. Mais malgré ça, je crois qu’on n’avait pas pris conscience à ce moment-là de tout ce que cela disait de notre société. Cela m’a sauté aux yeux au moment de la sortie du film Hold Up, récemment. Depuis 2016, non seulement le phénomène conspirationniste a pris une ampleur dingue, mais des gens ont aussi en quelque sorte copié notre méthode de parodie des films conspis, pour en faire un produit viral, en récoltant 300 000 euros. Aujourd’hui, il y a non seulement un large public et des plateformes pour diffuser ces films, mais il y a aussi un business. Et quand il y a un business, ce n’est jamais bon.
« J’ai une foi inébranlable en la jeunesse, mais il faut l’aider. »
TVB : Que peut-on faire pour endiguer la montée du complotisme, selon vous ?
TH : Je pense qu’il y a trois niveaux. Le premier, c’est l’éducation. Il faut que les citoyens de demain soient capables de comprendre comment fonctionne le numérique, ce qu’est un algorithme, un réseau social, une donnée personnelle. Il faut aussi de l’éducation aux médias et de l’éducation à l’esprit critique. Et enfin, il faut comprendre comment fonctionnent nos cerveaux, leurs biais, et être capable de lutter contre. C’est une étape absolument fondamentale, qui est menée déjà en grande partie par des enseignants brillants. Et ça fonctionne. Quand j’ai commencé à montrer mon film dans les classes en 2016, j’avais peur de me retrouver face à des djihadistes radicalisés, ou des ados qui allaient faire des « quenelles » à la Soral, mais j’en ressors avec une foi inébranlable dans la jeunesse de mon pays et dans sa capacité à incarner un futur merveilleux d’intelligence, de créativité, d’empathie et de solidarité. Mais il faut l’aider. Le deuxième point, c’est de ne plus accepter la donne des entreprises du numérique. Il n’y a aucune raison que ces entreprises ne respectent pas les lois et volent nos données personnelles tout en foutant en l’air nos démocraties. Il faut légiférer, démanteler, et agir de manière beaucoup plus radicale face à elles. Et le troisième élément, c’est de se donner les moyens de légiférer sur toutes les questions de harcèlement numérique. Le problème principal aujourd’hui, c’est la différence de temporalité. Le temps des raids sur Twitter par des haters n’est pas du tout celui de la police, et encore moins celui de la justice. Et il y a là un vrai problème.
TVB : Avez-vous un conseil si l’on a un proche qui commence à tomber dans le complotisme ? Comment arriver à lui parler ?
TH : La première chose à faire, c’est de maintenir le dialogue. La deuxième chose, c’est de ne jamais oublier le fait que le premier qui crie a perdu. Le troisième point, c’est qu’il ne faut surtout pas chercher à contre-argumenter, à contredire, car les complotistes auront toujours mille fois plus d’arguments que vous, même s’ils sont faux et bancals. La seule bonne réponse, c’est une question. « Ah ouais, mais pourquoi tu crois ça ? D’où ça vient ? Qui a dit ça ? Tu es sûr qu’il est compétent dans son domaine ce gars ? Etc ». Le problème ce n’est pas vous, parce qu’il ne vous convaincra pas que la terre est plate ou que les reptiliens gouvernent le monde en secret. Mais il faut arriver à toucher les indécis autour de vous, ceux qui pourraient être convaincus par les arguments du complotiste ou, plutôt, par l’illusion d’arguments.
Raphaëlle Vivent