

Sociologue, chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), associée au Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS) et chercheuse associée à l’Institut national d’études démographiques (INED), Yaëlle Amsellem-Mainguy a réalisé une enquête auprès de 173 jeunes femmes âgées de 13 à 29 ans, menant à la publication de son dernier ouvrage Les filles du coin, vivre et grandir en milieu rural aux presses de SciencesPo.
La sociologue s’est rendue sur 4 territoires : les Ardennes, la Chartreuse, la pointe du Finistère et les Deux-Sèvres. Elle y a rencontré des jeunes filles et s’est attachée à comprendre les processus de sociabilité et de socialisation juvéniles à l’œuvre à travers les spécificités de genre et les effets de la classe sociale. Les jeunes femmes rencontrées étaient majoritairement issues des milieux populaires (dont les deux parents ne travaillent pas toujours, sont ouvrier·e·s ou employé·e·s, en famille monoparentale auquel cas elles habitent avec leur mère, et/ou vivent avec un parent handicapé) et de petite classe moyenne (dont les deux parents travaillent en tant qu’employé·e·s, assistant·e·s de direction ou de gestion, infirmière, aide-soignante, militaire ou commerçants artisans).
Yaëlle Amsellem-Mainguy se souvient du témoignage de Maureen et Charline, âgées de 14 ans : « Ici tu cherches des gens, tu cherches longtemps, tout est plus long et compliqué. Vous ne pensiez pas trouver des jeunes en venant ici, n’est-ce pas ? La campagne ça fait vieux. Et puis, il y a la campagne de la campagne… » L’invisibilité de ces jeunes filles, c’est aussi l’invisibilité de leur territoire.
Le capital d’autochtonie
Pour de nombreuses jeunes rencontrées, « Ici, il n’y a rien à faire et tout le monde se connaît. On m’a interdit d’être amie avec une fille que j’aimais bien au collège à cause d’anciennes histoires de famille ». Il existe un réseau, un capital du local, de l’entre soi qui crée de la solidarité mais exclut aussi celles et ceux jugé·e·s comme des « cas sociaux », celles et ceux qui n’osent pas inviter chez eux car ce n’est pas assez bien, ou qu’ils n’ont pas les moyens. Mais « quand tu n’invites pas, tu n’es plus invitée », précisent les jeunes femmes.
La sociologue évoque le « capital d’autochtonie » pour désigner les ressources dont disposent ces jeunes filles grâce à leur connaissance des rapports sociaux en jeu sur leur territoire et grâce à leur appartenance à des réseaux sociaux localisés plus ou moins valorisés. Ce capital d’autochtonie donne accès à une légitimité plus ou moins forte à s’insérer sur le territoire. Pour l’illustrer, la sociologue évoque les jeunes filles les plus éloignées des réseaux de sociabilité locale qui sont aussi les plus éloignées de l’emploi, contrairement aux jeunes filles qui participent à la vie locale qui bénéficient d’une réputation auprès d’un réseau professionnel consolidé, etc.
Si ce capital d’autochtonie entraîne certaines distinctions entre les jeunes filles de milieu rural, il apparaît qu’il favorise la mise sous silence de comportements abusifs, notamment dans le milieu professionnel. La dénonciation de conditions de travail dégradées ou de situations de harcèlement et de violences sexuelles semble impossible. D’une part, elles ne disposent pas d’espaces d’expression nécessaires, et d’autre part la peur d’être « grillée » et de devoir quitter le territoire pour retrouver du travail inhibe la parole.
L’invisibilisation du travail des filles,
plutôt que l’invisibilité
La sociologue a insisté également sur l’invisibilisation du travail des filles. Elles « rendent service », « donnent un coup de main », mais elles ne travaillent pas. Elles sont, d’ailleurs, souvent assignées à des tâches stéréotypées. Par exemple, lors des fêtes de village : elles préparent les buffets, s’occupent de distraire les enfants, etc. L’assignation à ces tâches n’est pas questionnée car elles renverraient à des qualités « naturelles » des femmes. Elle a observé une non-prise en considération des compétences qu’elles mettent alors à l’œuvre. Leurs moyens d’indépendance sont, par ailleurs, souvent freinés par les normes sociales en vigueur au sein des réseaux de sociabilité locaux.
Pour leur offrir des solutions, Yaëlle Amsellem-Mainguy insiste sur la nécessité d’investir davantage de moyens dans le milieu rural, notamment pour faire venir (et rester) des professionnels du travail social qui peuvent ouvrir d’autres horizons à ces jeunes filles.
Laurianne Ploix
Ressources pour agir pour les jeunes dits invisibles
Insertion & emploi
Les chantiers éducatifs jeunes
Ils sont supervisés par la prévention spécialisée et permettent aux jeunes ayant des difficultés à s’insérer de vivre une expérience professionnelle rémunérée d’une semaine. Au cours du chantier, les jeunes identifient leurs freins à l’emploi, développent un savoir-faire, obtiennent une reconnaissance et clarifient leur projet professionnel ou de formation.La garantie jeune
La garantie jeunes, proposée par les missions locales, accompagne vers l’emploi les 16-25 ans en situation précaire, en leur permettant notamment d’avoir des expériences professionnelles et de suivre des formations.Le service civique
C’est un engagement volontaire au service de l’intérêt général ouvert aux 16-25 ans, élargi à 30 ans aux jeunes en situation de handicap. Accessible sans condition de diplôme, le Service Civique est indemnisé et s’effectue en France ou à l’étranger.
www.service-civique.gouv.frDe nombreuses structures ou associations aident également à l’insertion professionnelle ou à la reprise d’une formation : L’épide, La cravate solidaire, Emmaüs, Réseau Cocagne, les entreprises adaptées, Les apprentis d’Auteuil, les cadets de la République, Sport dans la ville, etc.
Enseignement & formation
Nouvelles Chances : sur internet ou par téléphone au 0800122500. Cette plateforme vous propose des conseils sur votre orientation, d’envisager différentes solutions pour retourner à l’école. Pour les jeunes de 16 à 25 ans.
Les actions de remobilisation : si vous avez arrêté votre scolarité, vous pouvez intégrer le DAVP (Dispositif d’Accès à la Voie Professionnelle, pour moins de 16 ans) ou la MLDS (Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire, pour les 16-25 ans). Accessible en passant par votre CIO.
Et plein d’autres solutions : Les micros lycées adaptés, les diplômes d’accès aux études universitaires (DAEU), l’école de la seconde chance, l’alternance, la prépa-apprentissage, la promo 16-18, etc.
Engagement
La junior association
Junior Association est une démarche souple qui permet à tout groupe de jeunes, âgé·e·s de 11 à 18 ans, de mettre en place des projets dans une dynamique associative.
https://juniorassociation.org/indexPartir en mission à l’étranger avec le Corps européen de solidarité ou pour des missions de volontariat en entreprise ou en administration.
info-jeunes.fr/s-engager-dans-le-corps-europeen-de-solidarite
Logement
Le logement autonome des jeunes
Mobiclé, sous-colocations, Bail (Social) Accompagné, Forum Logement Jeunes, colocations pour l’emploi. Autant de dispositifs d’aide à la recherche ou à l’accès au logement destinés à des jeunes en difficultés. Pour plus d’informations :
auvergnerhonealpes.uncllaj.org/tous-les-outils-et-actions-des-cllajEt plein d’autres solutions comme les résidences sociales, les foyers de jeunes travailleurs, la colocation intergénérationnelle, etc.
Santé
Points d’accueil écoute jeunes
Accueil inconditionnel, gratuit, confidentiel et sans rendez-vous dédié aux jeunes âgés de 11 à 25 ans qui souhaitent recevoir un appui lorsqu’ils rencontrent des difficultés au sujet de leur santé au sens le plus large : mal être, dévalorisation, décrochage scolaire, sentiment d’échec, etc.
www.cartosantejeunes.orgEt d’autres solutions comme le planning familial et les numéros de téléphone gratuits Fil Santé Jeunes 0800 235 236 et Croix Rouge Ecoute (solitude, isolement, dépression) : 0 800 858 858.
Crédit photo : TVB