Fin août, la canicule qui touche la France semble avoir oublié Ailefroide, hameau blotti à 1 500 mètres d’altitude au pied du Mont Pelvoux (3954 m), et haut-lieu de l’Alpinisme et de l’escalade, notamment de blocs. Le thermomètre affiche guère plus que 20 degrés en pleine après-midi, mais sur la paroi le soleil tape, même si l’orage commence à gronder et raisonner derrière les sommets. J’ai rendez-vous avec les associations Escalando Fronteras (Mexique) et Mountains Beyond Borders (Etats-Unis, France) qui organisent un échange interculturel pour de jeunes grimpeurs mexicains, intitulé À voix haute. Escalando Fronteras lutte au Mexique pour la prévention des addictions chez les jeunes grâce à l’escalade. Les grimpeuses professionnelles Fernanda Rodriguez, championne d’escalade du Mexique durant 3 années consécutives et Daila Ojeda Sanchez, championne espagnole originaire des îles Canaries, l’une des premières femmes à avoir réussi un 8c/8c+, sont les ambassadrices de cet échange. Reportage international dans les Hautes-Alpes.
Au bout d’une route serpentant les roches granitiques du parc des Ecrins, on trouve facilement le camping d’Ailefroide à l’entrée du hameau. Longeant un torrent sur environ un kilomètre, il propose des placements libres pour les tentes. J’installe la mienne proche du campement de base des associations. J’échange avec les voisins, deux jeunes espagnoles font sécher leur matériel détrempé par la pluie de la veille. « C’est Daila Ojeda qui est à côté de nous ? Il nous a semblé la reconnaître. » me demandent-elles. J’approuve sans trop savoir l’attitude à adopter. Je dois retrouver ensuite, avant que la pluie ne tombe à nouveau, l’équipe du projet qui grimpe sur le site Los amigos.
Arrivée sur place, Saúl, 10 ans, est très fier de me raconter qu’il a réussi un 6b en tête « sur cette roche dure qui glisse moins qu’au Mexique ». Fernanda Rodriguez donne des astuces à Arely Jazmin, 12 ans, qui assure Alejandro Medina, directeur de l’association Escalando Fronteras, chargé d’aller nettoyer la voix des dégaines laissées sur place. Iker, 10 ans, s’essaie au bloc pour la première fois et trouve cela amusant ces gros matelas qu’on met à nos pieds. Daila Ojeda, Tiffany Hensley, la fondatrice de Mountains Beyond Borders et Alma Esteban, chargée de développement en France, lisent ensemble une voie qu’il va falloir reporter au lendemain. Le soleil qui réchauffait tout le monde semble petit à petit laissait la place aux orages.
Transmettre les valeurs de l’escalade avec des grimpeuses professionnelles
Fernanda Rodriguez (plus connue sous le nom de Fery Rodriguez dans le monde de la grimpe) est née à Jalisco au centre du Mexique. « C’est un très beau lieu pour grimper, nous n’avons pas vraiment de Haute-Montagne mais des jolis vallons, très esthétiques ». Issue elle-même d’un quartier populaire, elle découvre la grimpe avec sa sœur un peu comme une échappée qu’elle allait vivre pieds nus, les week-ends. « Je me sens très proche de ces jeunes qui vivent aujourd’hui une aventure, l’escalade pour moi au début, c’était une aventure, puis progressivement, c’est devenu sérieux. J’y ai trouvé une discipline, un engagement et c’est devenu un objectif de vie, une passion qui a guidé ma vie jusqu’à aujourd’hui. L’escalade m’a rendue libre. Elle m’a permis de dépasser mes peurs, mes traumatismes. » Bénévole depuis 2016 auprès d’Escalando Fronteras, elle souhaite « rendre à l’escalade ce que l‘escalade lui a apporté en aidant ceux qui en ont le plus besoin ». Elle a accompagné les jeunes sur les 20 jours de leur voyage « d’un continent à l’autre » et a apprécié leur transmettre des astuces de grimpe tout comme des leçons de vie. Elle en revient avec l’envie d’accompagner les futurs grimpeurs et grimpeuses mexicaines. « Quand je faisais de la compétition, je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup d’inégalités sociales, je n’ai pas pu faire certaines compétitions parce que je ne pouvais pas me payer le voyage, mais aussi des inégalités de genre, les femmes au Mexique sont peu nombreuses à grimper et les prix des compétitions étaient bien moins grands et médiatisés. Aujourd’hui, je veux travailler avec la Fédération d’escalade du Mexique, je veux aider mon pays à développer la possibilité de faire de l’escalade pour tous, devenir coach pour les jeunes générations et les porter très loin, peut-être aux Jeux Olympiques… »
Pretty Strong, le film sur l’escalade au féminin
Sorti en 2020, Pretty Strong est un film du collectif Never Not Collective réalisé par la grimpeuse américaine Colette Mcinerney. Il suit les performances de 5 grimpeuses à travers le monde afin de redonner de la visibilité aux femmes dans l’escalade et à leurs performances de haut-niveau. Du 8a au parc de Yosémite au 8b+ de Fery Rodriguez au Mexique, le film suit des grimpeuses professionnelles qui découvrent et s’attaquent à de nouvelles voies. Une volonté de développer la représentation des femmes dans la médiatisation de l’escalade.
Daila Ojeda a découvert, par hasard, à 18 ans, l’escalade sur son île de naissance Gran Canaria où se tenait une compétition d’escalade de blocs. « J’ai tout de suite été attirée par ce sport et le style de vie alternatif des grimpeurs, toujours en pleine montagne. Je me suis mise à l’escalade et ai fini par déménager en Catalogne, alors haut temple de l’escalade. J’ai adoré grimper avec des gens de partout dans le monde et dépasser mes limites. J’ai aimé aussi la compétition où je me suis fait de nombreuses amies ». Championne d’Espagne et vainqueuse de la coupe d’Espagne, elle se consacre ensuite à l’escalade sportive et « à des voies qui m’attirent pour leur beauté où le défi qu’elles représentent plus que leur cotation ». Suivie par plus de 90 000 personnes sur Instagram, la championne a souhaité soutenir le projet parce que « l’idée me semblait très intéressante, pour retrouver des amies, mais aussi et surtout pour partager ma passion avec des petits. Je trouve que découvrir l’escalade est une chance, c’est une activité spéciale qui t’enseigne beaucoup au niveau personnel aussi. J’avais donc envie de les encourager, de leur dire de continuer à profiter et de leur raconter ce que l’escalade m’a apporté, même dans la connaissance de moi-même. » La grimpeuse professionnelle s’est arrêté quelques jours à Ailefroide après un séjour dans les Dolomites et avant de rejoindre la péninsule ibérique. Inspirés par leurs ambassadrices, les 3 jeunes mexicains disent désormais envisager une carrière professionnelle dans l’escalade ou au moins ne pas l’arrêter et rêvent tous d’aller grimper à El Salto sur les traces de Fery Rodriguez.
Prévenir et lutter contre les addictions dans les quartiers populaires, grâce à l’escalade
Les 3 jeunes qui bénéficient du programme À voix haute, sont suivis par l’association Escalando Fronteras (escalader les frontières) qui œuvre à Monterrey au Mexique dans le quartier Lomas Modelo Norte. Là-bas, la pauvreté atteint des records, la population souvent sans papier s’est organisée par elle-même sans éclairage public ni pavage des rues, selon Alejandro Medina, directeur d’Escalando Fronteras. L’association s’est donc installée dans le quartier pour offrir de nouvelles opportunités à ces jeunes, notamment grâce à l’escalade. « De pratiquer un sport ou une activité artistique, quels qu’ils soient, développe des compétences utiles pour l’avenir des enfants : savoir être devant un public, travailler sa forme physique, développer l’esprit d’équipe, etc. Mais l’escalade a comme puissance l’idée que l’on met notre vie entre les mains de quelqu’un d’autre : la personne qui assure. Elle permet vraiment de travailler la responsabilité, le dépassement de soi et de ses peurs, la définition et l’atteinte d’objectifs grâce à la persévérance, le respect de la nature et de l’environnement… », nous confie Alejandro Medina. L’association accompagne une trentaine de jeunes chaque semestre. « Dans ce quartier, de nombreux jeunes tombent dans l’alcool ou le trafic de drogues, alors nous essayons de leur montrer de nouvelles voies et de leur donner des clés pour être armés contre les addictions », poursuit-il. « Mes parents m’ont inscrits à Escalando Fronteras parce que j’avais des problèmes d’hyperactivité et de concentration, j’étais en train de lâcher l’école », nous confie Iker. « L’escalade et l’accompagnement d’Escalando Fronteras m’ont appris à me canaliser et à me dépasser, je me sens mieux. »
Quand Tiffany Hensley découvre au Mexique les bienfaits sur les jeunes de ces programmes d’insertion ou de réinsertion par l’escalade, elle crée Mountains Beyond Borders pour aider d’autres structures à développer des activités similaires. Son objectif : créer un réseau international pour aider les enfants en difficulté grâce aux valeurs de la grimpe. « J’ai vu à quel point l’escalade pouvait changer le monde en mieux, donner une voix et de la confiance aux générations futures ». Une antenne est créée en France avec Alma Esteban qui nous confie : « On a rencontré de nombreuses personnes dans la communauté de l’escalade, qui trouvaient ça super ce que l’on faisait et qui nous ont demandé si cela existait ailleurs, en Espagne par exemple. Ce n’est pas encore le cas, mais c’est ce que l’on veut faire avec Mountains Beyond Borders, alors il suffit juste de nous écrire ! ».
Laurianne Ploix
Plus d’infos : https://mountainsbeyondborders.org
Citation extraite de l’ouverture de la BD Ailefroide, Altitude 3954 d’Olivier Bocquet et Jean-Marc Rochette aux éditions Casterman, citant Gaston Rébuffat dans Comme aux premiers jours.
« Ce massif des Ecrins appelé aussi, non sans raison, Massif du Haut-Dauphiné, est extrêmement riche : de sa pauvreté, de sa nudité, de sa rudesse, de sa sauvagerie. La vraie richesse, c’est de donner le bonheur, de procurer l’émerveillement. Il aide à naître, à grandir, à aimer, à comprendre. Il dit que certaines choses, magnifiques, merveilleuses, toutes simples, sans détour, existent. »
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