« Ma vie avant consistait à fabriquer des bijoux à la maison, aller les vendre, dormir, fabriquer des bijoux, les vendre, dormir. » affirme Mayasha, quatorze ans. « Quand j’ai débuté le surf, j’ai commencé à penser à mes rêves. Maintenant, il y a beaucoup de choses que je veux faire. »
La jeune fille fait partie d’un groupe de huit filles ayant entre dix et quatorze ans, premières Bengalies à surfer sur un spot de la plus grande plage du monde (125 kilomètres), Cox’s Bazar.
Dans le pays conservateur qu’est le Bangladesh, les filles quittent l’école avant même de savoir lire ou écrire pour aider leur famille à survivre. La pauvreté les force à prendre très tôt la responsabilité de gagner de l’argent pour aider leurs proches à se nourrir.
Chaque matin, qu’il fasse soleil ou qu’il pleuve, les fillettes vendent des oeufs, de l’eau, ou encore des bijoux sur la plage très touristique du Sud du Bangladesh. Certaines d’entre elles ont rejoint le club de surf de Cox’s Bazar dirigé par Rashed Alam après que celui-ci leur ai proposé d’essayer. Ce-dernier a monté un club en 2014, un an après que la jeune Shoma l’ait approché alors qu’il s’apprêtait à prendre les vagues, la planche au bras. « Je veux faire ça. » Alam a alors commencé à apprendre à la fillette à surfer et d’autres filles ont suivi. Amorçant cette nouvelle pratique avec la planche sur le sable, les filles apprennent ensuite à nager avant d’attaquer véritablement le surf.
Aucun des parents n’a bien réagi quand ils ont appris que leur enfant surfait. En plus du danger, ils étaient craintifs de la réputation de leur fille dans cette société à domination masculine. Certains ont reçu la visite d’hommes accusant leur adolescente de comportement indécent. En outre, les parents veulent que leurs enfants travaillent. Alam doit les convaincre que leurs filles peuvent avoir un futur en dehors de leur maison. Les parents sont aussi inquiets concernant l’argent, « Si les filles prennent deux heures de cours de surf, c’est de l’argent qu’elles ne gagnent pas. » déclare Rashed « Cela prend ainsi du temps de les convaincre. ».
A de multiples reprises, la mère de Shoma est descendue jusqu’à la plage pour ramener sa fille à l’hôtel où elle travaille. Rashed Alam a finalement réussi à la convaincre que Shoma avait un réel talent pour devenir surfeuse. Quelques mois plus tard, la jeune fille est arrivée troisième lors d’une compétition locale, gagnant 40 dollars, soit l’équivalent de deux mois de travail comme femme de chambre. Pour célébrer cette victoire, sa mère et elle ont fait un tour en bus dans la ville avoisinante, premier voyage que la famille s’offrait.
Pour prouver que le surf peut mener à une carrière, Alam enseigne des cours de sauvetage en espérant que les filles pourront en faire le métier une fois adultes. Elles deviendraient alors les premières femmes sauveteuses de la plage.
La photographe américaine Allison Joyce a aidé à la mise en place d’une plateforme de crowdfunding pour aider les familles des jeunes filles. Chaque mois, elles reçoivent de la nourriture. « Sans cette aide, ma mère me ferait arrêter le surf » avoue Johanara.
De plus, la femme de Rahed Alam, Vanessa Rude, une californienne arrivée au Bangladesh en 2009 par l’intermédiaire d’une organisation non-gouvernementale, donne quotidiennement des cours d’anglais aux fillettes.
« Une fois qu’on leur a appris à aller dans l’eau, elles commencent à devenir davantage confiantes. Un autre changement pour ces filles est qu’il y a un groupe de jeunes garçons au club de surf qui n’essaient pas de les amener chez eux ou de se moquer d’elles. Au lieu de cela, ils les encouragent. Elles se sentent respectées pour la première fois. » constate Vanessa. « Et maintenant, elles voient qu’elles méritent d’être écoutées. Au club, elles savent qu’elles sont aimées, appréciées et protégées. Elles n’avaient pas vraiment cette possibilité avant. Si quelqu’un les accoste sur la plage, elles lui feront face en groupe. Ce sont comme des petits tigres envers les gens, elles se protègent les unes les autres. La plupart du temps, quand vous rencontrez des filles au Bangladesh, elles ne parlent pas, mais pas les filles. Cela vient du club de surf, je pense. » Grâce au surf, les filles ont récupéré une partie de leur enfance et gagné en estime de soi. « Personne n’est habitué à voir des filles autant sûres d’elles-mêmes ici ».
« Quand Rashed m’a proposé de surfer, je pensais que ce serait une totale perte de temps. A la place, je pouvais gagner cent takas [un peu plus de un euro, ndlr] » raconte Maisha, 14 ans. « Finalement, ça m’amuse beaucoup. Debout sur la planche je ressens la liberté. »
Alam a aussi grandi en travaillant sur la plage, vendant à la criée des promenades à cheval ou des chaises longues pour les touristes. Il a appris en autodidacte à surfer et a ensuite monté son club en 2008. Ce-dernier se compose maintenant d’une soixantaine de membres. La plupart de l’équipement provient de donations.
Une des plus jeunes du groupe, Johanara, était terrifiée pendant des mois à l’idée de tenir en équilibre sur sa planche dans l’eau. Quand elle s’est finalement tenue debout, Alam lui a donné une longue ovation. « C’était le meilleur moment de ma vie » confie-t-elle.
Un matin, les filles s’entraînaient au sauvetage en mer. La mère de Johanara est descendue sur la plage avec un panier de bijoux et deux jeunes enfants. Elle a fait face à la mer et a parcouru du regard la foule à la recherche de sa fille. Johanara est finalement apparue au loin, émergeant de l’eau. Elle était trop au large pour voir sa mère sourire.
Valentine Agostinho Juenet
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