Aux filles, les tâches ménagères et le devoir de beauté, aux garçons, l’aventure, les sciences et la technique ? Le jouet pourrait-il être une injonction à se comporter selon certains standards sociaux ? Certains chiffres sur les inégalités hommes-femmes tendent à valider cette hypothèse : écart des salaires (23% de plus pour les hommes), temps consacré aux tâches ménagères (1h26 de plus par jour pour les femmes), sous-représentation en sciences, politique et instances dirigeantes (30% de femmes dirigeantes)*
Le jeu peut être une opportunité de transmettre des valeurs comme la coopération, la confiance en soi, la persévérance, de développer des capacités (logique, stratégie, mémoire, communication). Il peut aussi enfermer les enfants dans des cases et des représentations sociales. Une étude de 2015** montre que le marketing de « genre » des jouets, c’est-à-dire le fait de les classer en rubrique « fille » ou « garçon » dans les magasins ou catalogues a un impact sur le développement des enfants.
L’association Le jeu pour tous l’affirme : le jouet n’est pas anodin car il transmet des valeurs auxquelles l’enfant voudra se conformer. Comment se positionnent aujourd’hui les magasins de jouets sur la question ? Quelles sont les initiatives associatives et citoyennes?
L’égalité commence avec les jouets
Cécile Marouzé de l’association Le jeu pour tous nous l’indique : dans les catalogues de jouets, les garçons jouent aux voitures et à la guerre tandis que les filles jouent à la poupée et se déguisent en princesse… Voilà une image bien ordinaire que nous ne prenons plus la peine de questionner. Pourtant, si on regarde de plus près les jouets que l’on propose aux filles et aux garçons, on découvre deux univers totalement séparés et opposés, profondément stéréotypés et inégalitaires. Aux filles la sphère domestique et son lot de tâches ménagères, aux garçons l’aventure et la conquête ! Aux filles le devoir de beauté, aux garçons la science et la technicité ! Aux filles le dialogue et l’expression des émotions, aux garçons la compétition et la mise à l’écart des sentiments.
En 2017, la campagne de l’association intitulée Jouer l’égalité a refait surface grâce aux réseaux sociaux : une petite fille en robe de princesse mais qui fait de la mécanique, un petit garçon qui joue à la poupée. Tout est fait pour dénoncer les clichés sexistes des catalogues des magasins. Au moment où le sujet de l’égalité femmes-hommes fait l’actualité, les affiches ont connu un réel succès sur internet où de nombreuses personnes les ont diffusées. La belle histoire ne s’arrête pas là car des professeurs ou des documentalistes utilisent aujourd’hui ces affiches pour sensibiliser les jeunes sur l’égalité des sexes.
Cibler les jouets selon le genre a des conséquences
Une étude de 2015 ** a ainsi révélé que les garçons ont plus de probabilités que les filles de jouer à des jeux qui développent leur intelligence spatiale comme les jeux de construction et les puzzles. Ces distinctions peuvent influencer la construction sociale de ces enfants : « Les compétences spatiales sont une partie de l’explication de la sous-représentation des femmes dans la science et la technologie », explique Jamie Jirout, psychologue et auteure de l’étude. Les activités informelles comme le jeu sont essentielles au développement des aptitudes spatiales, qui, selon elle, sont non seulement importantes pour les mathématiques et les sciences, mais aussi pour ce que nous appelons la « fonction exécutive »
Les magasins de jouets en première ligne
En France, les catalogues de jouets commencent à évoluer : emballage présentant une fille et un garçon plutôt que l’un ou l’autre, rayons et catalogues de jouets mixtes, couleurs plus neutres. Depuis 2015, Super U se fait remarquer en inversant les stéréotypes classiques : un petit garçon avec un poupon et une petite fille avec un camion de pompier. Selon un représentant de la chaîne, leur rôle n’est pas politique mais de suivre l’évolution de la société, avec notamment le mariage pour tous ou le phénomène « me too », l’égalité est un sujet en plein débat.
Dans la majorité des catalogues aujourd’hui, les garçons jouent à la dînette. « En jouant à la dînette, l’enfant (…) imite tout simplement la vie à la maison. (…) Les rôles des hommes et des femmes à la maison sont de plus en plus similaires. Donc jouer à la dînette ou à la poupée pour un garçon n’a rien d’inquiétant, bien au contraire, il se construit à travers l’image de son papa, se socialise, prend des responsabilités », observe la société Autour des kids, spécialisée dans la garde d’enfants à domicile.
A l’international, les principaux vendeurs de jouets, de Wal-Mart à Amazon, n’associent plus systématiquement un jouet à un genre. Il n’y a plus de catégorie « jouets fille » ou « jouets garçon » chez ces distributeurs. Cependant, les fabricants de jouets ont encore tendance à créer des versions « fille » ou « garçon d’un même jouet ou à associer certains jouets à un emballage rose pour les filles et bleu/rouge pour les garçons.
L’évolution du jouet suit l’évolution de la société
La sociologue Elizabeth Sweet a étudié*** plus de 7 300 jouets proposés dans les catalogues de la chaîne américaine de magasins Sears, depuis un siècle. Elle a constaté que les plus anciens jouets renforçaient les rôles traditionnels – tels que « la petite ménagère » ou le « jeune bricoleur ». À la fin du siècle, les personnages étaient plus fantastiques : la ménagère était devenue une princesse ; le charpentier, un super-héros.
Avec la montée du féminisme dans les années 1970, les jouets genrés ont diminué : dans le catalogue de 1975, plus que 2 % des jouets étaient classés selon le sexe. Mais dans les années 80, les catégories filles/garçons sont réapparues dans les articles destinés aux enfants.
Le jouet apparaît donc comme un support d’éducation, encore faut-il être conscient des valeurs, compétences que l’on souhaite transmettre aux garçons et aux filles. L’égalité de droit entre hommes et femmes commence finalement par l’égalité d’accès aux différents types de jouets dès l’enfance, sans discrimination de genre. Ce sera peut-être aux parents de combler le fossé entre les sexes et dépasser leurs opinions et valeurs probablement façonnées, elles aussi, par le marketing du jouet quand ils étaient eux-mêmes enfants.
Muriel Martinez
*http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-chiffres-2017-des-inegalites-femmes-hommes/
**http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0956797614563338 – Building Blocks for Developing Spatial Skills: Evidence From a Large, Representative U.S. Sample – Jamie Jirout, Nora newcombe
*** http://www.oxfordbibliographies.com/view/document/obo-9780199791231/obo-9780199791231-0155.xml – « Dolls » Elizabeth Sweet – 2017