Psychologue et autrice, notamment du livre Le Traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, Evelyne Josse est spécialisée dans l’accompagnement vers la résilience des personnes ayant subi un traumatisme. Elle a pris le temps de nous expliquer le processus de résilience.
TVB : Comment définiriez-vous la résilience ?
EJ : à l’heure actuelle, il n’y a pas de définition consensuelle sur laquelle tout le monde s’accorderait. L’auteur Michael Rutter affirme que la résilience, c’est la capacité de bien fonctionner malgré le stress, l’adversité, les situations défavorables. C’est la possibilité de surmonter, au moins partiellement, des conditions difficiles d’un type ou d’un autre. Pour Boris Cyrulnik, « La résilience, c’est la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit des événements déstabilisants, des conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». Dans ces deux définitions, ce qui est considéré comme une période difficile va du stress au traumatisme, et c’est problématique.
Donc, moi, personnellement, je réserve le terme de résilience aux personnes qui rebondissent après avoir souffert d’un traumatisme ; c’est-à-dire aux personnes qui ont vécu un événement qui est potentiellement traumatique et qui, elles, l’ont vécu comme traumatique. Elles ont eu des symptômes et manifestent une souffrance par rapport à ça. Ma définition de la résilience, c’est la capacité des personnes qui ont été exposées à un événement traumatique et qui en souffrent, qui présentent des symptômes traumatiques, à se relever. Malgré l’événement vécu, elles vont pouvoir continuer à vivre, à se développer et à évoluer. Je crois qu’on peut dire qu’une personne est résiliente quand elle a retrouvé l’aptitude et l’énergie nécessaire pour mener à bien ses tâches quotidiennes, et à se projeter dans l’avenir.
Les personnes résilientes ne souffrent plus de souvenirs douloureux qui sont intrusifs. Dans le traumatisme, on a des souvenirs qui reviennent dans les cauchemars ou de manière involontaire. Et il ne faut pas croire que, tout d’un coup, ça passerait comme avec une baguette magique. On peut à la fois être résilient et avoir des troubles qui continuent à être des troubles traumatiques, présents ou atténués, mais qui n’interfèrent plus avec son évolution de vie.
TVB : Est-ce que la résilience est un processus toujours identique avec des étapes identifiées ?
EJ : Le processus de résilience est propre à chaque personne. Mais c’est vrai que c’est souvent un chemin qui est long, un chemin de reconstruction. Et je dirais que, comme une maison qui a été détruite par un incendie ne se reconstruit pas en un jour, une personne qui a subi un traumatisme non plus.
Mais oui, je trouve qu’on peut repérer quelques étapes sur ce chemin. Dans un premier temps, la personne est traumatisée. J’appelle ça la phase du figement, parce qu’en fait, la personne ne peut pas évoluer, ne peut pas avancer dans sa vie. Elle est complètement sous l’emprise du traumatisme. C’est comme si l’avenir n’existait pas pour ces personnes. Elles ne parviennent pas à envisager une issue positive à leur situation. Elles ont vraiment l’impression que plus jamais rien de bon ne leur arrivera dans la vie. Elles ont l’impression qu’elles sont cassées, qu’elles sont brisées définitivement et donc elles sont bloquées.
Le processus de résilience, va commencer par une phase, que j’appelle le stade de l’espérance. Ce sont des termes qui me sont tout à fait propres, que vous trouvez pas dans les bouquins. Et à ce moment-là, le traumatisme commence à être perçu comme une étape qu’il est possible de surmonter. On ne sait pas encore comment, on ne sait pas encore quand, mais on espère un changement, c’est-à-dire que la personne commence à entrevoir en tout cas qu’un changement de sa situation est possible.
Même si la personne a perdu des plumes dans le trauma, elle se sent de nouveau capable de reconstruire une nouvelle vie ou de reconstruire sa vie. à ce stade, les personnes commencent à espérer qu’elles peuvent s’en sortir mais souvent, elles ignorent quelles solutions elles vont mettre en œuvre.
Et puis vient la troisième étape que j’appelle la préparation au changement. Les personnes envisagent, avec un peu plus de précision ce qu’elles veulent pour leur futur. Et puis la dernière étape, c’est celle que j’appelle l’étape de l’action. C’est à dire que, concrètement, les personnes vont commencer à bouger, à mettre en place des solutions.
TVB : Avez-vous des exemples de processus de résilience à nous donner ?
EJ : Je peux vous raconter des cas de patients. Souvent, l’une des choses qui peut se passer après un trauma, est que l’on revient vers l’humain et des valeurs plus simples. L’argent souvent ne devient plus si important, ni la reconnaissance sociale. Les personnes s’approchent plus des valeurs comme l’environnement, l’écologie, l’amour, l’amitié, prendre soin des autres.
C’est le cas d’une dame qui a eu un accident de moto et a été blessée au niveau cérébral. ,Elle a eu un traumatisme crânien qui a eu un impact au niveau cognitif. Elle avait des difficultés de concentration par exemple, et donc sa vie a complètement basculé. Elle disait d’elle-même qu’elle était une machine de guerre, elle travaillait dans une grosse boîte internationale, dans les ressources humaines, à un très haut poste. Elle pouvait licencier 50 personnes sur la journée sans aucun état d’âme. Ça ne lui faisait rien. Et après cet accident, elle a complètement changé. Le fait de souffrir elle-même lui a fait se rendre compte que les autres pouvaient aussi souffrir. Elle a commencé à développer sa capacité d’empathie, donc de pouvoir se mettre à la place des autres. Aujourd’hui, elle s’est formée aux massages sensitifs. Elle se sent plus sereine et épanouie.
Parfois, des personnes me disent « je ne voudrais pas revenir en arrière ». Car après tout un chemin de résilience, elles se disent « ma vie est plus riche qu’avant, je suis revenue à des valeurs essentielles, ma vie me satisfait davantage ». Et ça, c’est ce qu’on appelle la croissance post-traumatique, celle qui permet d’avoir une vie plus épanouissante qu’avant.
TVB : La résilience se travaille-t-elle ? Avons-nous des solutions à notre disposition pour se faire aider ?
EJ :Malheureusement, la guérison, ça ne tombe pas du ciel, on doit y mettre du sien. Gabriel Garcia Marquez disait : « C’est en marchant que le chemin se fait. » Donc il faut se lancer. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne doit compter que sur soi. Au contraire, c’est important de se tourner vers les autres. Boris Cyrulnik affirme qu’il n’y a pas de résilience sans réseau social, c’est à dire que l’on ne va pas devenir résilient si on n’est pas en contact avec les autres, on ne devient pas résilient tout seul. Les autres nous permettent de communiquer, de partager notre expérience, de parler (avec des amis ou un psychologue). On peut aussi s’exprimer par l’art, par l’écriture. Ce sont des outils de résilience aussi importants.
Il est important aussi de retrouver une routine quotidienne et de retrouver cette routine le plus rapidement possible. Parce qu’en fait, quand on a vécu un traumatisme et surtout si on est en arrêt, on a tendance à faire un peu n’importe quoi. Ce qu’on a d’ailleurs vu aussi pendant le confinement. Mais après un trauma, c’est essentiel parce que ça va redonner de la stabilité et de la prévisibilité, c’est quelque chose d’essentiel. Et puis, c’est important de rappeler, qu’avoir une bonne hygiène de vie, notamment une activité physique (pas nécessairement intense) peut aider.
Les recherches scientifiques ont montré que l’activité physique est un antidépresseur plus efficace qu’un antidépresseur chimique. On a fait des recherches avec des gens qui faisaient une demi-heure de vélo, trois fois par semaine, et des gens qui prenaient un antidépresseur. Après trois mois, on avait à peu près le même résultat dans les deux groupes et après un an, les gens qui faisaient du vélo avaient de meilleurs résultats, donc étaient en meilleure forme mentale que ceux qui prenaient les antidépresseurs. Donc ce n’est pas seulement des conseils de mamie que je vous donne là.
Les recherches prouvent aussi que ce qu’on met dans notre assiette, finalement, arrive aussi dans notre cerveau. Par exemple, les aliments comme le fast food ou tous les aliments très travaillés semblent contribuer à la dépression. Et puis, c’est important aussi de reprendre les activités de loisirs, tout ce qui nous fait du bien. Et puis, il existe des thérapies pour modifier le réseau neuronal des souvenirs traumatiques, comme l’hypnose ou l’EMDR.
TVB : Du point de vue d’une psychologue, quelle est la plus grande aide à la résilience pour un patient ?
EJ : Ce sont les liens d’attachement en tant qu’êtres humains. En fait, on se régule dans le lien, on se régule émotionnellement et de manière neurologique dans le lien. Si vous pensez aux nourrissons, ils pleurent parce qu’ils ont faim, parce que leur couche est souillée et ce sont les adultes bienveillants qui vont les calmer. Les nourrissons ne sont pas capables de s’apaiser eux-mêmes, tout seuls. Ils ne peuvent trouver le réconfort que dans le lien. Notre cerveau est fait de différentes parties et il y a des parties qui maturent plus vite que d’autres. Ce que l’on appelle le cerveau émotionnel (qui permet de ressentir des émotions) est mature très vite. Et puis on a une autre partie du cerveau, qui s’appelle le cortex préfrontal. C’est celui qui nous permet de nous dire que ce n’est pas si grave ce que l’on vit, ou que ça ira mieux plus tard. C’est celui qui nous permet de prendre du recul sur les choses et il n’est mature qu’à peu près à 25 ans. C’est pour ça aussi d’ailleurs que vous claquez les portes ou que vous criez quand vos parents vous disent quelque chose. Petit à petit, votre cortex va vous aider à réguler. Mais en fait, toute notre vie, on a besoin de nos proches, on a besoin des autres pour se réguler émotionnellement. Et ça, c’est vrai jusqu’à notre dernier souffle.